Chronique n° 10 : Trêve de guerre

Mis à jour le 09/04/2015

Noël 14. Les Lozériens des 142ème et 342ème régiments d’infanterie tiennent les tranchées à 4 kilomètres au sud d’Ypres en Belgique. Comme en beaucoup d’endroits le long de la ligne de front, la nuit du 24 décembre et la journée du 25 sont calmes. Froid, brouillard, un peu de neige, boue jusqu’aux genoux. A l’avant comme à l’arrière, il a fallu se rendre à l’évidence : la guerre va durer. Les familles ne seront pas réunies à noël. Certaines ne seront plus jamais réunies : il y a déjà 340 000 morts en France, un million en Europe.

A partir des années 2000, quelques historiens, romanciers et cinéastes ont donné beaucoup d’écho à un phénomène réel mais plutôt rare : les trêves et fraternisations.

La trêve, c’est tomber d’accord pour interrompre le feu et laisser faire l’adversaire. Il peut s’agir d’acheminer la soupe, de récupérer les blessés, de réaliser des travaux d’urgence dans les tranchées que les pluies noient des deux côtés… Dans les périodes de calme, ces ententes peuvent se prolonger. On ne tire qu’à heures fixes, on utilise l’eau d’un ruisseau à tour de rôle... Pareilles manifestations de tolérance vis-à-vis de l’ennemi ne datent pas du premier noël de guerre. On en trouve le témoignage dans les carnets de soldats dès le mois d’octobre 1914. Elles sont la conséquence directe de cette nouvelle manière de faire la guerre : le face-à-face persistant dans des tranchées rapprochées.

La fraternisation va plus loin que la trêve. Elle est aussi plus rare et très brève. Sur le front ouest, à noël 1914, on connaît une dizaine de cas. Ils concernent surtout les troupes britanniques. Les hommes des deux camps échangent des objets, du chocolat, des cigarettes, du schnaps. Ils jouent au football. Mais la presse anglaise est bien la seule à publier une photo. En France, il serait inconcevable de montrer un instant de fraternisation avec l’ennemi héréditaire. L’opposition aux Allemands n’a pas la même nature d’un côté et de l’autre de la Manche. Pour l’Anglais de 1914, l’Allemand est un simple adversaire et la guerre comporte un caractère sportif. Au contraire, la presse française rappelle sans cesse à ses lecteurs que le Germain constitue l’ennemi absolu, historique, celui qui lui a volé son territoire et sur qui il a une revanche à prendre.

Il serait sans doute excessif d’interpréter ces pauses dans le combat comme du pacifisme ou de l’internationalisme. Mais les quelques événements de fraternisation confirmés permettent de mesurer la capacité de résistance individuelle aux discours officiels de haine du Boche.

Face à ces pratiques, il n’est pas rare que les officiers subalternes laissent plus ou moins faire. Deux semaines avant noël 1914, un simple lieutenant comme le jeune Charles de Gaulle constate dans ses carnets : « Cette guerre des tranchées a eu le grave inconvénient d’exagérer chez tout le monde un sentiment contre lequel on est bien faible à la guerre. "Si je laisse l’ennemi tranquille, il me fichera la paix." C’est déplorable. »

Les officiers supérieurs et les états-majors réagissent beaucoup plus mal. Où allons-nous si chacun peut suspendre la guerre à sa guise ? A Chantilly, le grand quartier général français ordonne les mesures les plus sévères. A Charleville-Mézières, le haut commandement allemand adopte la même attitude. Le général Mangin écrit à sa femme : « J’ai prescrit de passer par les armes tous soldats qui auraient des rapports avec l’ennemi autrement qu’à coups de fusil ». Les officiers reçoivent l’ordre de tirer sur les hommes qui fraternisent. Des tireurs d’élite doivent rompre les trêves en brisant la confiance. Le moindre contact avec l’autre camp est passible du Conseil de guerre sous le motif d’intelligence avec l’ennemi.

Surtout, se développe dans les tranchées la routine du « coup de main ». A intervalles réguliers, de petits groupes reçoivent l’ordre de sauter de nuit dans la tranchée ennemie, de faire rapidement le plus de dégâts possible puis de ramener un ou deux prisonniers. Chaque opération entraîne automatiquement des représailles. Les deux camps vivent dans un état permanent d’alerte et d’insécurité.

©

"Heureux Noël", 1914-1918 Carte postale coul. E uropeana, FRAD048-012-005-101 Sur cette carte, l'illustrateur a choisi de représenter la crêche avec les rois mages sous les traits de soldats des troupes coloniales.

©

« Joyeux Noël ». Extrait d'une lettre envoyée « des Tranchées » par le Sous-Lieutenant Monginoux à l'abbé de Montgros, 19 décembre 1915 Papier, 19 x 24 cm Arch.dép. Lozère, 28 J 10

©

"Je te promets d'être bien sage pour que tu sois content de ton petit garçon", 1914-1918 Carte postale coul. Europeana, FRAD048-012-005-101