Chronique n° 9 : Poilu ou bonhomme

Mis à jour le 19/01/2015

Comme tous les grands événements de l’Histoire, la Première Guerre mondiale suscite ses légendes et ses clichés. La guerre pour l’Alsace-Lorraine, le départ la fleur au fusil, l’uniforme rouge responsable des morts de l’été 14, Bretons ou Corses principales victimes du conflit, la répression féroce des mutineries de 1917... sont quelques-unes des idées reçues que les historiens s’efforcent de corriger ou de nuancer. L’usage du mot « poilu » fait partie du phénomène.

Est-il un mot français plus étroitement lié à l’imagerie de 14-18, plus symbolique de ses douleurs et de sa gloire ? Avec « tranchée », quel vocable vient plus vite à l’esprit quand il s’agit d’évoquer la Grande guerre ? De la mobilisation au monument aux morts, le poilu est l’icône du conflit.

Le mot se généralise dès les premiers mois de la guerre dans les publications et les chansons, sur les cartes postales et les affiches. Il désigne affectueusement le militaire français et s’oppose au Boche. On organise des « Journée du poilu ». On crée toute une mise en scène et un bric-à-brac d’objets autour de l’image du poilu, soldat ordinaire, sympathique et endurant, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, courageux défenseur de sa patrie. Poilu finit même par devenir un simple synonyme de soldat, au point qu’on parlera de poilu russe ou italien.

Aussi fortement attaché que le mot soit aujourd’hui à l’imagerie de la Première guerre mondiale, il faut rappeler qu’il est bien plus ancien, héritage de l’argot militaire du XIXème siècle. Le poilu c’est alors un homme qui a du poil, c’est-à-dire un homme d’expérience par opposition à un jeune imberbe. En outre, à l’époque, l’abondance de la pilosité signale une résistance et un courage virils, tandis que sa rareté renvoie à une timidité et une fragilité censément féminines.

En 1914, deux éléments objectifs vont assurer l’extraordinaire renouveau du vieux terme : l’obligation dans laquelle était tout militaire de porter la moustache et la difficulté concrète de se raser en première ligne. Sur ce dernier point, on n’oubliera pourtant pas que le retour au cantonnement arrière était régulier. Les hommes ont leur dignité et procèdent à une toilette complète. Ils ont même le devoir d’une présentation correcte. Les sous-officiers y veillent. Assigner l’origine du mot poilu, comme on le fait souvent, au défaut de rasage aurait étonné les soldats. Le poilu, ce n’est pas l’hirsute, le négligé. C’est le valeureux, l’intrépide.

Un point plus important doit être souligné : le succès du vocable n’est pas universel. Paradoxalement, malgré son sens positif, il est rejeté par les premiers concernés. A leurs oreilles, c’est surtout un terme de l’arrière, une parole d’embusqué, une expression de ceux qui ne connaissent rien aux souffrances de la guerre. C’est aussi l’appellation que leur réserve les officiers qui veulent se démarquer de la troupe.

Entre eux les soldats ne se donnent pas du « poilu ». Ils s’appellent « bonhommes », « camarades » ou « potos ». Ils se considèrent comme les « P.C.D.F. », les pauvres couillons du front, ceux qui n’ont aucun moyen d’échapper à la misère des tranchées.

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Poilu dans sa tranchée. 3e Emprunt de la Défense nationale (1917) Affiche coul. AD 48, 46 Fi 538

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Champagne. Salon de coiffure (1918) Plaque stéréoscopique LSU AD 48, Europeana AD48_027-118