Chronique n°5 : La presse française et la grande guerre

Mis à jour le 19/01/2015

La presse française et la grande guerre

Il y a cent ans, le 29 juin 1914, les Français dévorent leurs journaux. On y annonce en première page la nouvelle d’« un double attentat » à Sarajevo.

La scolarisation de masse a fait de la France un pays de lecteurs avides. En 1914, la presse nationale en compte 5 millions quotidiennement, à quoi s’ajoutent 5 autres millions de lecteurs des titres régionaux. À l’instar de l’école et de l’armée, le journal constitue un puissant facteur d’intégration nationale et même républicaine. C’est aussi le lieu où se forment (et se manipulent) les esprits et la fameuse « opinion publique ».

Depuis la fin du XIXème siècle, les ventes ont explosé. La presse française est la première au monde par le tirage, diffusant chaque jour grâce à un réseau ferré bien développé environ 10 millions d’exemplaires. Il existe des centaines de quotidiens régionaux et quelque 80 quotidiens nationaux dont Le Matin, L’Aurore, Le Figaro, Le Gaulois, Le Siècle, Le Journal, L’Humanité, Le Constitutionnel, La Croix, L’Intransigeant, Le Journal des Débats, L’Action française, Le Temps

Les ¾ des ventes concernent une presse populaire très bon marché (5 centimes, environ 20 centimes d’€) qui met à la une le crime ou le fait divers spectaculaire. Dans cette veine, un événement comme celui de Sarajevo peut facilement faire monter le tirage quotidien du Petit Journal ou du Petit Parisien à 1,5 million d’exemplaires.

Une fois la guerre déclarée, la presse pour qui la liberté est une conquête récente (1881), doit s’accommoder du peu de marges que lui laissent censure, besoins de propagande et restrictions matérielles sur l’encre et le papier. Les organes régionaux souffrent beaucoup tandis que la presse nationale s’impose.

Dès septembre 1914, le rôle que les journaux peuvent jouer dans le maintien du « moral » des troupes est bien compris par le commandement qui met un point d’honneur à ce que la presse arrive dans de bonnes conditions au front. Naturellement, la multitude d’abonnements ou les très nombreux kiosques à l’avant ne sont imaginables que dans le contexte d’une ligne de combats stabilisée. Durant toute la guerre, entre 1 et 3 millions d’exemplaires sont ainsi expédiés vers le front chaque jour : 1 quotidien pour 3 soldats en moyenne. Le Matin, Le Petit Parisien, Le Journal, L’écho de Paris, Le Petit Journal monopolisent 90% du marché militaire et des ventes à l’avant où on en fait souvent une lecture collective comme au café.

La plupart du temps d’ailleurs, cette lecture soude les hommes contre le journal lui-même, son « bourrage de crâne » primaire et ses « bobards » grotesques : les balles allemandes ne traversent pas les uniformes français, les tranchées sont équipées de douches et du chauffage central, un espion « boche » se repère à l’odeur, les Allemands se rendent pour une saucisse... La presse surjoue le patriotisme et certains périodiques donnent dans le sensationnalisme plus ou moins délirant : un enfant de 14 ans capture à lui seul un bataillon « austroboche ».

Ces inepties, censées rassurer à l’arrière et donner du courage sur le front, finissent par être insultantes pour le soldat français qui fait face dans des conditions misérables à un ennemi aguerri. La crédibilité des journaux en prend un coup. Les meilleures plumes ont beau raffiner leur rhétorique après 1915, le mal est fait : la presse sortira du conflit largement déconsidérée. Son âge d’or des années 1910 ne reviendra jamais.

« Tout peut être vrai…sauf ce qui est imprimé », disait-on dans les tranchées.

Nouvelle de l'assassinat de Sarajevo dans , Le Moniteur de la Lozère, 4 juillet 1914Arch. dép. Lozère 1 Per 204

Des employés de la préfecture (Jasse, Jurquet, Lyonnet, Sarrut) lisant Le Petit Parisien, 5 juin 1898 Photogr. sepiaArch. dép. Lozère, 129 J (Fonds Jurquet)