Premier accroc à l’union sacrée

Mis à jour le 19/01/2015
Centenaire de la grande guerre - chronique de septembre

Premier accroc à l’union sacrée

Fin août, les Français reculent sur tous les fronts, les pertes sont très lourdes. Il faut d’urgence désigner un responsable à l’opinion publique. On le trouve sur le front lorrain. Ce sont les soldats du Midi et notamment ceux des départements de la région militaire de Marseille qui feront de parfaits boucs émissaires, malgré leurs milliers de morts.

Joffre déclare à Messimy, ministre de la guerre : « Le 15ème corps n’a pas tenu sous le feu et a été la cause de l’échec de notre offensive. » Messimy dicte à un ami, le sénateur de la Seine Auguste Gervais, un article dénonçant la lâcheté des hommes du 15ème corps d’armée. Leur défaillance aurait « entraîné la retraite sur toute la ligne. » Aussi visé, le 16ème corps de la région de Montpellier où sert notamment le régiment "lozérien" (142ème régiment d’infanterie) qui vient de perdre un tiers de ses hommes.

L’article, intitulé « La vérité sur le recul en Lorraine », paraît dans Le Matin du 24 août 1914. Le quotidien respectable tire largement au-dessus du million d’exemplaires. L’article passe sans encombre la censure sévère qui protège les armées et l’union sacrée. Il a tout pour convaincre : il faut un coupable à nos revers, peu de gens ont les véritables informations militaires et l’explication offerte par Gervais est plausible. Elle vient accréditer une série de stéréotypes bien répandus depuis longtemps. On voit l’homme du sud comme un Tartarin bavard, un Matamore prétentieux, un fanfaron expert en gasconnades. Au premier danger, il cède à la panique. Il est indiscipliné, réfractaire à l’autorité, versatile et facilement impressionnable. Bref, on peut légitimement douter de son patriotisme et de sa valeur guerrière.

Mais l’effet de l’article de Gervais est immédiatement contreproductif. Au lieu de rassurer, il trouble ; au lieu d’unir, il divise. A Marseille, Toulon ou Avignon, on brûle Le Matin en public. Les parlementaires du sud protestent à la Chambre et demandent à être reçus par le président du Conseil. Deux jours plus tard, Messimy est contraint à la démission ; Joffre nuance ses propos sur la vaillance des Méridionaux ; le reste de la presse se fait un plaisir de fustiger l’imprudence criminelle du Matin ; les laiteries Gervais publient même un communiqué assurant qu’il n’existe aucun lien entre les propriétaires de la société et l’auteur de l’article.

Puis, silence complet. Par peur de réveiller la polémique, il n’y aura jamais de réhabilitation, ni même d’article élogieux quand le 15ème corps se comportera bien au feu. Provençaux et Languedociens restent les principales victimes de cette lamentable affaire qui renforce une réputation injuste. Moqueries, doutes, rixes, manque de confiance entre soldats et avec les officiers durent toute la guerre. La blessure d’un Méridional est toujours suspecte et passe d’abord pour une automutilation. Après-guerre, on a beau ériger des monuments, inaugurer des avenues et des places au nom du 15ème ou du 16ème corps... le mal est fait.

Le premier accroc à l’union sacrée n’aura pas été le fait d’un groupe politique mais d’une maladresse gouvernementale. Il n’aura pas été d’ordre social mais géographique.

La bataille de la Marne... gagnée en lorraine ?

Le mois de septembre 1914 reste justement célèbre pour la victoire de la Marne qui met un coup d’arrêt à l’avancée allemande en France. Après 20 jours de recul ininterrompu, Paris est sauvé, la continuité du front maintenue, une contre-offensive lancée.

Les unités du Languedoc ne participent pas à ce combat. Elles se battent en Lorraine aux alentours de Nancy. Mais, précisément, sait-on ce que les succès sur la Marne doivent à la résistance acharnée de l’armée de Lorraine engagée 200km kilomètres plus à l’est ?

C’est le général De Castelnau, un Aveyronnais, qui la commande. Depuis le 20 août, l’efficacité de l’offensive ennemie l’oblige à reculer, comme tous les chefs d’armée sur les autres fronts, au prix de sanglants combats retardateurs. Mais lui le premier arrête la progression allemande. C’est le 25 août, entre Nancy et Epinal, dans la forêt de Charmes. C’est là que les Bavarois avaient reçu l’ordre de bousculer des Français épuisés et de percer leurs lignes. L’idée était de venir ensuite par le sud prendre à revers nos autres armées au moment où elles étaient forcées au repli vers la Marne sous la poussée prussienne tombée de Belgique.

Le 25 août, devant Charmes, le fameux canon de 75 peut enfin donner la mesure de sa réputation. Le 142ème régiment d’infanterie et ses Lozériens, bien que décimés, ne jouent pas un rôle insignifiant en première ligne autour du village de Rozelieures. Et contre toute attente, face à une armée en lambeaux, étrillée depuis cinq jours, les Bavarois ne réussissent pas à passer. Mieux, ils sont contraints à se retirer d’une dizaine de kilomètres par endroits. Les hommes de De Castelnau, à bout de force, ne peuvent les poursuivre. Mais c’est la première bonne nouvelle de la guerre : en Lorraine, le flanc droit des armées françaises est sécurisé. Plus à l’ouest, l’état-major peut envisager avec confiance une ligne de résistance sur la Marne. D’autant plus que le prince héritier de Bavière lance une nouvelle attaque formidable sur Nancy le 4 septembre et qu’en sauvant la ville, De Castelnau confirme qu’il peut tenir sa partie du front.

Du coup, le tableau du marteau prussien qui devait écraser le gros des armées françaises sur l’enclume bavaroise restera de l’ordre du songe wagnérien ; tout comme le plan d’un Paris conquis au 39ème jour de guerre, même s’il s’en est fallu de peu qu’il ne se réalise. On peut affirmer que le retournement décisif de la Marne aurait été impossible sans le succès préalable de la Trouée de Charmes.

Une sinistre ironie veut pourtant que la veille de cette victoire, un certain sénateur Gervais ait mis en doute dans un article du Matin la valeur des soldats du sud, de ces régiments qui devaient contribuer le lendemain à un succès si crucial en Lorraine et, par voie de conséquence, sur la Marne une dizaine de jours plus tard.

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Le Moniteur de la Lozère, 25 août 1914, AD48 1 PER 107

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Le Moniteur de la Lozère, 26 août 1914, AD48 1 PER 107

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Bataille de la Marne, carte postale, AD48 collecte Europeana FRAD048-032-019