Chronique n°7 : Un desir de guerre?

Mis à jour le 19/01/2015
Chronique n°7 du centenaire de la grande guerre - Lozère

1 - Un désir de guerre ?

Paysans, ouvriers, employés, la très grande majorité des Européens ne veut pas la guerre en 1914. Mais, dans les capitales, des groupes influents l’appellent bruyamment de leurs vœux et enflamment les esprits.

De nombreux intellectuels et artistes sont, depuis des années, séduits par l’idée de la guerre. Ils détestent l’amollissement et l’ennui bourgeois, la décadence républicaine, le sentimentalisme efféminé. Ils exaltent l’action virile, l’héroïsme, la beauté du sacrifice. La guerre fait revenir les vertus traditionnelles. La guerre est une phase nécessaire de régénération des civilisations. Péguy la recommande pour en finir avec la société moderne où on ne croit plus à rien. Jusqu’aux premières batailles, Maurice Genevoix en parle avec amour. Ernst Jünger : « La guerre reste la forme suprême de l’énergie. » Pierre Teilhard de Chardin : « La guerre rend libre. » Le peintre allemand Franz Marc : « Le feu purifie ». L’écrivain Filippo Marinetti : « La guerre est la seule hygiène du monde. » Maurice Barrès : « Avant même qu’elle ait jeté sur notre nation sa pluie de sang, la guerre, rien que par ses approches, nous fait déjà sentir ses forces régénératrices. C’est une résurrection ! »

Depuis des années, on va d’une crise à l’autre sur l’échiquier international. On frôle plusieurs fois la guerre généralisée entre 1905 et 1913. Les incidents internationaux se résolvent mais leur accumulation laissent les opinions publiques meurtries et méfiantes. Chaque nation prend des postures menaçantes. Les dépenses militaires européennes augmentent de 300%. Certains états ont des problèmes intérieurs pour lesquels un conflit extérieur pourrait constituer une diversion utile. Les Britanniques sont jaloux de leur domination commerciale et maritime. L’Allemagne, devenue la première puissance manufacturière de l’Europe, ne s’estime pas assez reconnue et prise en compte dans le concert des nations. L’Autriche-Hongrie veut en finir avec la turbulente Serbie dans les Balkans, là-même où la Russie entend asseoir sa domination. En France, les confrontations coloniales avec l’Allemagne provoquent un intense déferlement germanophobe. Courant Barrès ou tendance Maurras, on n’avait jamais vu autant de virulence nationaliste.

On ne veut pas la guerre mais on y est conduit presque mécaniquement et tous les peuples ont la même conviction de défendre leur bon droit et d’être agressés, directement ou indirectement. Chacun se met du côté de la civilisation et se pose en rempart contre la barbarie. Les Français sont des dégénérés, les Russes des esclaves, les Allemands des bêtes brutales, les Anglais des traitres et des fourbes.

A la mobilisation, les façades se couvrent de drapeaux mais les réactions divergent entre grands centres urbains et campagnes. Sur les boulevards, c’est l’enthousiasme et l’allégresse. Des groupes entonnent des chants patriotiques et crient « A Berlin ! » ou « A Paris ! ». On acclame les troupes autour des casernes et près des gares. Ailleurs, les hommes répondent à l’appel sans liesse martiale. Ils sont résolus à accomplir leur devoir mais préoccupés. Au moment du départ, les discours d’encouragement des maires ou des instituteurs qui restent, ne sont pas inutiles. De toute façon, il n’est pas convenable de montrer son inquiétude et on veut croire ce qui se dit partout : la guerre sera courte.

2 - L'allié russe

En août 1914, la France n’entre pas en guerre pour récupérer l’Alsace et la Lorraine. Au contraire, tout est fait pour ne pas provoquer l’Allemagne. Mais la France tient à honorer ses accords de défense avec la Russie. Pourquoi cela ? Parce que jusqu’au dernier moment, lorsque le gouvernement français recherche la promesse d’un soutien militaire du côté de Londres, il ne reçoit que des réponses vagues. Dans la crainte d’une non-intervention britannique, Paris est contraint de se rapprocher de son seul allié militaire sûr, la Russie.

Qu’est-ce qui nous attache au juste à ce pays ? A première vue, le lien est inattendu. Tout sépare l’immense empire autocratique de la jeune république, à commencer par les kilomètres. En fait, depuis la guerre de 1870, l’Allemagne maintenait la France à l’écart en Europe. Paris ne doit de sortir de son isolement diplomatique qu’à un renversement d’alliance et un rapprochement avec la Russie dans les années 1890. Un ballet de visites protocolaires, d’inaugurations et d’échanges bilatéraux se met en place. La Russie devient à la mode en France. Les échanges militaires sont intenses. Face au voisin allemand, la France affiche fièrement son association avec le fameux « rouleau compresseur russe » (140 millions d’habitants contre 63 en Allemagne). Les milieux diplomatiques russes sont actifs et très influents à Paris. La Russie bénéficie en outre dans les années 1900 de la plus forte croissance économique en Europe, financée en partie par l’épargne française. Ce sont les fameux emprunts russes souscrits par 1,5 million de Français pour un montant de 15 milliards de franc-or.

©

Gouvernement impérial de Russie. Obligation de conversion (coupon d'emprunt), 1902-1918 AD48, 78 J 2

Ces éléments contribuent à resserrer une alliance qui, dans la crise de 1914, ne peut qu’accélérer l’entrée en guerre contre l’Allemagne. Cela pour deux raisons. La monarchie russe chancèle depuis l’humiliante défaite de 1905 contre le Japon. Une guerre victorieuse pour défendre le "petit frère serbe" de l’invasion autrichienne pourrait unir le pays et redorer le blason impérial, même si cela signifie aussi la guerre contre l’Allemagne. D’autre part, les élites allemandes vivent avec le sentiment obsédant d’être victimes d’un encerclement franco-russe hostile que seule une guerre préventive pourrait briser.

Le 31 juillet 1914, le baron Wilhelm Von Schoen, ambassadeur d’Allemagne à Paris, transmet au président du Conseil René Viviani un ultimatum donnant à la France 18 heures pour annoncer qu’elle se désolidarise de son allié russe. Le lendemain, le gouvernement français prend la décision de la mobilisation générale. Le 3 août l’Allemagne déclare la guerre à la France et marche sur la Belgique neutre. Le 4 août, le Royaume-Uni entre en guerre aux côtés des Belges, des Français, des Serbes et des Russes.

Commentant cette dernière décision, le président Poincaré écrit : « Ça a été parmi tous les membres du Conseil un véritable soulagement. Jamais une déclaration de guerre n’a été accueillie avec une telle satisfaction. » (Notes inédites présentées en 2014 lors de l’exposition Eté 14, les derniers jours de l’ancien monde à la Bibliothèque nationale).

En août 1914, la France n’entre pas en guerre pour récupérer l’Alsace et la Lorraine. Au contraire, tout est fait pour ne pas provoquer l’Allemagne. Mais la France tient à honorer ses accords de défense avec la Russie. Pourquoi cela ? Parce que jusqu’au dernier moment, lorsque le gouvernement français recherche la promesse d’un soutien militaire du côté de Londres, il ne reçoit que des réponses vagues. Dans la crainte d’une non-intervention britannique, Paris est contraint de se rapprocher de son seul allié militaire sûr, la Russie.

Qu’est-ce qui nous attache au juste à ce pays ? A première vue, le lien est inattendu. Tout sépare l’immense empire autocratique de la jeune république, à commencer par les kilomètres. En fait, depuis la guerre de 1870, l’Allemagne maintenait la France à l’écart en Europe. Paris ne doit de sortir de son isolement diplomatique qu’à un renversement d’alliance et un rapprochement avec la Russie dans les années 1890. Un ballet de visites protocolaires, d’inaugurations et d’échanges bilatéraux se met en place. La Russie devient à la mode en France. Les échanges militaires sont intenses. Face au voisin allemand, la France affiche fièrement son association avec le fameux « rouleau compresseur russe » (140 millions d’habitants contre 63 en Allemagne). Les milieux diplomatiques russes sont actifs et très influents à Paris. La Russie bénéficie en outre dans les années 1900 de la plus forte croissance économique en Europe, financée en partie par l’épargne française. Ce sont les fameux emprunts russes souscrits par 1,5 million de Français pour un montant de 15 milliards de franc-or.

Ces éléments contribuent à resserrer une alliance qui, dans la crise de 1914, ne peut qu’accélérer l’entrée en guerre contre l’Allemagne. Cela pour deux raisons. La monarchie russe chancèle depuis l’humiliante défaite de 1905 contre le Japon. Une guerre victorieuse pour défendre le "petit frère serbe" de l’invasion autrichienne pourrait unir le pays et redorer le blason impérial, même si cela signifie aussi la guerre contre l’Allemagne. D’autre part, les élites allemandes vivent avec le sentiment obsédant d’être victimes d’un encerclement franco-russe hostile que seule une guerre préventive pourrait briser.

Le 31 juillet 1914, le baron Wilhelm Von Schoen, ambassadeur d’Allemagne à Paris, transmet au président du Conseil René Viviani un ultimatum donnant à la France 18 heures pour annoncer qu’elle se désolidarise de son allié russe. Le lendemain, le gouvernement français prend la décision de la mobilisation générale. Le 3 août l’Allemagne déclare la guerre à la France et marche sur la Belgique neutre. Le 4 août, le Royaume-Uni entre en guerre aux côtés des Belges, des Français, des Serbes et des Russes.

Commentant cette dernière décision, le président Poincaré écrit : « Ça a été parmi tous les membres du Conseil un véritable soulagement. Jamais une déclaration de guerre n’a été accueillie avec une telle satisfaction. » (Notes inédites présentées en 2014 lors de l’exposition Eté 14, les derniers jours de l’ancien monde à la Bibliothèque nationale).

©

Les fêtes du coronnement du Tsar Nicolas II. Réception de la mission française à Moscou Protège-cahier coul. AD48, Fonds Balmelle

©

Amitié officielle avec la Russie. Carte souvenir du n° de tirage au sort de Pierre Jean Berbonde (1878-1965) de Saint-Denis-en-Margeride pour son service militaire en 1899. Papier 12x15cm AD48 dépôt Marie-Rose Vernhes NC.